Topia
les ateliers du paysage
Savoir regarder pour se représenter
les paysages
Paysages et imagerie du
sentiment romantique : un autre monde
Exposition aux Anciens Thermes d’Évian
Du 12 juin au 31 août se tenait à Évian une exposition
sur le paysage et le mouvement romantique. Puisqu’Évian est désormais
ma ville, un coup d’œil s’imposait. L’exposition rassemble quelques 35
peintures, 40 gravures ou aquarelles et, ô bonne surprise, 80 photographies
dont quelques merveilleux daguerréotypes émouvants. On retrouve
dans la salle les grands thèmes de la quête d’un ailleurs
par les romantiques : photos et peintures d’un Orient magnifié et
fascinant, notamment méditerranéen et surtout égyptien
; découverte des espaces américains et asiatiques ; fascination
pour les paysages extrêmes dans les montagnes européennes. |
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La Mer de glace (1798),
Jean-Antoine Linck. Musée savoisien, Chambéry
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Certaines
juxtapositions de tableaux me parlent peu : les estampes de la collection
Payot montrent un univers montagnard peint avec une méticulosité
très classique : la symétrie est de mise, la composition
très étudiée utilise les arbres au premier plan et
les chemins zigzaguent du premier à l’arrière-plan pour guider
le regard du spectateur.
Plusieurs
tableaux, gravures ou aquarelles retiennent mon regard comme celle de Max
Klinger, L’île des morts, une gravure sur cuivre dont il m’a semblé
qu’elle était très connue - où est-ce un tableau qu’elle
reprend ? - et qui m’a rappelé un livre intitulé Le
chefs d’œuvre de l’épouvante que je lisais enfant, épouvantée
et ravie, découvrant sans le savoir quelques très grands
auteurs, d’Edgar Poe à Lovecraft ou Tolkien.
Parallèlement l’exposition
montre le reflet d’une autre manière de voyager dans les mêmes
années : les expéditions scientifiques et naturalistes se
multiplient et les premières photographies qui en témoignent
sont bouleversantes : une série de quatre juxtapose la vue d’une
montagne aux formes très contemporaines d’un gigantesque building
semblant écraser une petite maison d’alpage, deux vues de l’ascension
du Mont Blanc par les frères Bisson, et une vue du lac de Gaube
complètement enchâssé dans la montagne. Ces quatre
vues splendides témoignent de la découverte d’un autre monde,
inquiétant, angoissant, mais si proche, dans lequel la présence
de l’homme est dérisoire. On retrouve ce thème cher aux romantiques
dans quelques tableaux des années 1850-1860 : Courbet peint un paysage
édénique dans lequel un arbre gigantesque occupe les trois
quarts du tableau, sous lequel on finit par deviner une présence
humaine. H. Sebron peint une mortelle partie de cache-cache entre Indiens
et colons qui semble dérisoire au pied de la grande cataracte du
Niagara, saisie par les glaces sous un ciel menaçant. Les Étonnants
voyageurs chers à Baudelaire ramènent de leurs voyages des
visions. Corot peint un très paisible Site d’Italie et Delacroix
éblouit, magistral, avec des scènes très animées,
notamment un tableau montrant des comédiens ou bouffons arabes dont
se dégage une impression de joie et de plaisir inquiet, presque
menaçant.
Les daguerréotypes et les photographies rapportées d’Orient
poursuivent le même but. Dès 1839 en effet, la photographie
prend place dans les salons et les expositions internationales. J’ai retenu
le très émouvant daguerréotype de Jules Itier qui
dès 1845 montre aux bourgeois , aux industriels et aux marchands
avides d’évasion et de rêve, le temple de Louxor. À
peine imprimé sur la plaque de verre, il semble tellement lointain,
si précis en même temps. Maxime Du Camp comble Baudelaire
de ses nombreuses vues d’Orient et Nadar photographie Baudelaire
quand on a vu cent fois ce portrait sur les jaquettes de livres, on est
très ému de le voir "en vrai". Dans le même registre
on peut voir des photographies de Hugo, notamment Sur le rocher des proscrits,
qui sont à elles seules un résumé des grands thèmes
romantiques.
Pour finir
j’ai retenu une sanguine émouvante d’un coucher de soleil sur le
Lac de Neufchâtel : la couleur rouge, très prononcée,
semble tristement prémonitoire quand on constate que la vue fut
prise en 1914...
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