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Topia les ateliers du paysage 
une association pour favoriser l'expression de chacun

Analyses

  Introduire la notion de paysage à l'école primaire, par Cédric Crémona (printemps 2005)
  Le col des saisies, par Cédric Crémona (été 2004)
  Lire les paysages de montagne, par Cédric Crémona (été 2004)
  Paysage de la Grande Guerre, par Olivier Casabielhe (automne 2001)
  Histoire et paysage de la prairie, par Cédric Crémona (printemps 2002)
  Un paysage rural en évolution, par Cédric Crémona (printemps 2001)


Introduire la notion de paysage à l'école primaire

     Bien que géographe de formation et familier de la question, mon expérience première de l’introduction de la notion de paysage en classe de CE2, alors que j’y étais suppléant, ne s’est pas révélée satisfaisante. L’investissement de la classe, les retours que je pouvais avoir n’étaient pas ceux que j’attendais : l’intérêt des élèves n’était en fait pas vraiment au rendez-vous !

       En cherchant à en discuter avec mes collègues, j’ai perçu un décalage entre les instructions officielles et leur pratique. Bien que la notion de paysage soit abordée, elle n’est souvent traitée que très rapidement, en quelques séances, au profit de connaissances plus classiques comme la lecture de cartes, le relief de la France, ses cours d’eau, son organisation administrative, ses pays limitrophes… Or, la notion de paysage est aujourd’hui incontournable et occupe une place centrale dans les nouveaux programmes. Mais comment l’aborder de manière active en cycle III (CE2, CM1, CM2) et faire participer l’élève à la construction de son savoir ? Quels aspects de la notion traiter prioritairement et quels choix didactiques effectuer ? Quelles situations proposer et quelle pédagogie adopter ?

      En pédagogie, les méthodes actives sont celles qui requièrent une initiative effective de l’élève dans son propre apprentissage, et suscitent son intérêt par l’exercice d’activités formatrices diversifiées. Elles cherchent à motiver l’élève et l’amènent à la construction de ses savoirs. L’activité est à distinguer de la réalisation concrète, ou du travail en groupe auxquels elle est parfois assimilée. Elle s’oppose cependant au modèle de « transmission » des savoirs, où l’élève écoutait –passivement ?- le maître exposer les connaissances à assimiler. Le lien est souvent fait aussi entre activité et problèmes ou encore situations-problèmes. En théorie, ces dernières, en proposant un obstacle à surmonter, conduisent les élèves à construire de nouveaux « outils ». Plus généralement elles s’appliquent maintenant à toute séquence pédagogique débutant par un problème et impliquant effectivement une recherche.

      Et cela a été expérimenté à deux reprises. Au mois de janvier dernier, en classe de CE2 à l’école des Oiseaux de Montceau-les-mines, trois séances sur les paysages de montagne ont permis de tester un dispositif pédagogique centré sur des problèmes à surmonter et proposant de multiples tâches à effectuer individuellement ou en groupe. Puis, durant le mois de mars, en classe de CE2 à l’école Saint-Valérien de Tournus, cinq séances sur les paysages de Saône-et-Loire ont amené l’élève à s’interroger sur un paysage qui lui est familier. A chaque fois, la mise en projet de la classe a été une priorité.

       De même que les méthodes de lecture cherchent à amener l’élève à s’interroger sur le sens des mots qu’il découvre, pareillement en géographie l’élève va être invité à lire le paysage. Face à une photographie ou sur le terrain, il va s’interroger et se lancer dans une recherche. A sa confrontation au paysage, l’élève doit donc être préparé et accompagné. En favorisant la construction de représentations préalables, de « modèles théoriques », la projection de l’élève dans le paysage se trouve facilitée, sa perception s’en trouve stimulée mais encore sa capacité à le décrire en est accrue et gagne en nuances. Il peut par exemple relever les différences par rapport à un paysage type et commencer à les interpréter.

     Une séance sur le paysage ne pourra donc débuter par la simple présentation d’une vue quelconque, aussi « belle » et « explicite » soit elle pour le professeur, si ce n’est dans un but d’évaluation diagnostique. Il faudra préalablement l’introduire, construire d’abord des concepts, théoriser, et surtout entrer dans une problématique. Mais parce qu’elle fait partie des objectifs transversaux de l’école et induit de nombreuses compétences, en maîtrise de la langue notamment, la lecture de paysage exige d’identifier clairement les compétences préalables (se rapportant à l’image, à la sélection de l’information pertinente, aux textes documentaires...), les objectifs intermédiaires (sur la façon de participer au projet de l’élève...) et les indispensables séances décrochées ou parallèles dans d’autres domaines…

       Certes, le paysage implique souvent de mettre en place des projets nécessitant du matériel, beaucoup de préparation, parfois des sorties sur le terrain. Mais il offre une opportunité de travail interdisciplinaire et en « transversalité » exceptionnelle ! A condition tout d’abord, que l’enseignant reconnaisse la lecture du paysage comme une compétence prioritaire et indispensable pour une première confrontation à l’organisation de l’espace. Qu’il identifie ensuite les nombreuses compétences transversales qu’elle exige tout particulièrement dans le domaine de la maîtrise de la langue et dans les méthodes de travail. Qu’il se donne enfin les moyens pédagogiques de proposer une telle démarche à sa classe en y consacrant suffisamment de temps… Temps gagné par la suite, d’abord en ayant recours à ce fabuleux outil que le paysage constitue pour l’enseignement de la géographie et ensuite en mettant en place des projets interdisciplinaires qui seront autant d’occasions pédagogiques d’aborder d’autres compétences.

     La construction durant le cycle III de la notion de paysage doit être conçue comme une étape de l’élaboration des savoirs et non comme une simple et agréable digression. Si cette notion comporte une dimension culturelle évidente, l’école doit néanmoins miser sur sa démocratisation... Et cultiver en chacun ce regard qui doit autant au rêve qu’à la raison !

Cédric Crémona, pour Format Paysage n° 13, été 2004

Le col des saisies (1633 m)
Un paysage montagnard en évolution

    Venant du val d’Arly et des Aravis, selon le même itinéraire que l’illustre Gargantua, le voyageur qui franchissait en 1895 (cachet postal au dos de la carte) cette porte du Beaufortain -car on accédait alors à ce petit massif du nord du département de la Savoie par les cols, ceux de la Forclaz, du Joly, du Bonhomme, les Cormets de Roselend ou d’Arèches vers la Tarentaise- ce voyageur donc découvrait alors un paysage apaisé et pastoral...
… Seul l’agrémentait le bois sombre des chalets d’estives où l’on emprésurait le beaufort, et quelques troupeaux d’Abondances et de Tarines paissant, au sein de l’ample dépression du col, l’herbe grasse d’alpages réputés, sans l’ombre d’un sapin. Le panorama y est saisissant vers le nord sur la chaîne du Mont-Blanc, en direction de l’ouest, le sommet du Charvin et la chaîne des Aravis, la Combe de Savoie où scintille l’Isère et un peu plus loin, et plus sombres, les Bauges et la Grande Chartreuse… 
 Le Col des Saisies vu du chemin venant de Hauteluce, fin XIXème siècle
        Le chemin plonge ensuite sur la verte vallée d’Hauteluce dont les innombrables chalets, chacun ayant sa fonction et n’étant occupé qu’une partie seulement de l’année, donnent l’impression trompeuse d’une population nombreuse.

      Depuis 1963 s’est développée à cet endroit une station de ski familial pour laquelle l’enneigement prolongé des pentes a favorisé le développement du ski de fond dont les Saisies sont devenues le grand centre alpin, avec une renommée confirmée par les épreuves de ski de fond et de biathlon lors des jeux olympiques d’Albertville en 1992. On peut facilement remarquer qu’il n’y a pas que les sapins qui ont poussé ! Les immeubles aussi, le long de la route départementale 218, Grande Route des Alpes qu’emprunte si fréquemment le Tour de France, et qui, en haute saison, prend rapidement l’aspect de n’importe laquelle des artères animées des grandes agglomérations dont nous sommes plus familiers. Les équipements sur les pentes ont aussi poussé un peu partout. 
 Et depuis le début de ce nouveau siècle, le clocher d’une église est même venu souligner le profil de ce petit bout de ville perché en montagne. On s’affaire maintenant à y dénombrer les lits, nuitées, kilomètres de pistes, de remontées, centimètres de neige… L’ambiance est résolument savoyarde : chalets en bois, artisanat local et salaisons, vins de pays et reblochon. Et l’on y fabrique encore le beaufort. Mais les témoins de la grande époque qui pourraient vous conter l’alpage doivent y être rares… ou noyés dans la masse.
 La station des Saisies depuis le Signal de Bisanne, de nos jours
       

Cédric Crémona, pour Format Paysage n° 13, été 2004

Lire les paysages de montagne

Montagne : « … Importante élévation de terrain… région de forte altitude… » (Le Robert) ; « Reliefs élevés, avec de fortes pentes et des dénivellations importantes. » (Précis de Géographie, Nathan). On peut penser que ce terme si courant et si systématiquement utilisé est défini de manière un peu… abrupte ! Des 8.850 m. du Mont Everest aux 283 m. de la Montagne de Reims, en passant par l’hypothétique « Montagne » bourguignonne, une toponymie généreuse et un usage un peu excessif exigent une définition qui délaisse le descriptif pour l’explicatif. En France, il existe bien évidemment une définition administrative, qui découle des normes européennes. Pour être classée en zone de montagne, une commune doit se trouver à une altitude moyenne de 700 m. (600 m. dans les Vosges) ou regrouper sur son territoire des pentes au moins égales à 20%.

Que peut-on ajouter qui puisse nous permettre de mieux comprendre les paysages de montagne? Quelles en sont les « logiques » ?

   Tout d’abord, il s’agit d’une désignation relative, qui distingue une région de celles alentour. Par ailleurs la distinction n’est pas exclusivement topographique (l’altitude), mais peut être avant tout… climatique ! On parle de montagne si l’on est en présence d’un climat montagnard, climat toujours plus frais et plus humide. En effet, du fait de l’altitude, les températures baissent, environ de 0,5°C tous les 100 m. Les masses d’air se refroidissent et les précipitations augmentent. Les versants les plus exposés aux vent dominants sont aussi les plus arrosés
    Les contrastes d’exposition, facteurs récurrents quels que soient les terroirs, prennent en montagne une grande importance. Ils feront fortement varier l’étagement, de l’ubac (ou ombrée), versant à l’ombre, à l’adret (ou soulane), versant au soleil. « Conséquence directe de l’ensoleillement privilégié des versants exposés au sud et à l’est : une occupation préférentielle par l’homme, qui en a profondément troublé l’ordonnance par ses défrichements, ses cultures et ses habitats, alors que les versant exposés au nord restent dévolus à la forêt ».
La vallée d’Aigue Agenelle, saisissante illustration des contrastes d’exposition adret /ubac (Queyras, Alpes) © Thomas Le Roux (Topia), 2004

     Parallèlement, l’oxygène présent dans l’atmosphère se raréfie avec l’altitude. Le froid s’ajoutant, chaque espèce animale ou végétale atteint sa limite biologique à une certaine altitude. C’est donc en tant que milieu naturel que la montagne est originale. Cet étagement de la vie sur les pentes, plus ou moins perceptible dans le paysage, est ce qui permet de dire que l’on se trouve face à une montagne.

Du fait des contraintes naturelles affirmées (froid, vent et, en général caprices du climat montagnard, sol et exposition…), mais aussi des privilèges de ce milieu (protection hivernale du manteau neigeux par exemple), sa mise en valeur est marquée par le flux et reflux des activités selon les saisons (bocage de fond de vallée, cultures diversifiées en terrasses, prés de fauche, habitat estival dispersé, pâturages et alpages…) et par de profondes logiques fonctionnelles : utilisation de la gravité pour les travaux ruraux, murets et terrasses contre l’érosion, économie de moyens de l’habitat traditionnel, recherche de la zone optimale de chaleur vers la mi-pente, gestion collective et institutionnalisée des eaux de ruissellement…

    Les difficultés de communication propres à la montagne en ont fait un espace non homogène.  Les synapses -terme proposé par R. Brunet en 1990, ou « liaisons », y sont autant de lieux de communication géographique : cols, passes, cluses, combes, gorges… et de sites propices à l’implantation des villes.

     Le relatif isolement de ces territoires a fait des zones les plus reculées ou inaccessibles, des refuges de populations (humaine bien entendue mais aussi animales et végétales). Les Vaudois, par exemple, fuyant les persécutions, se réfugièrent dès le XIIIe siècle dans le massif de l’Oisans et des Ecrins pour y fonder le hameau de Dormillouse… qui n’est aujourd’hui encore relié au monde ni par la route ni par le réseau électrique.

    Enfin l’érosion et le remaniement constants du relief (gel, dégel, ruissellement, torrents, avalanches et glissements…) ou la surrection (telle celle des Alpes provoquant des séismes) ont pour conséquence de rendre ce paysage à la fois très évolutif et « dynamique »… mais aussi très vulnérable.

    La spéculation économique et la surpression touristique, dans l’oubli des logiques et des contraintes de la montagne, menacent de fragiles équilibres et font peser sur des milieux d’une étonnante richesse des risques énormes.
 

Cédric Crémona, pour Format Paysage n° 13, été 2004


D’après Les Mots de la Géographie, R. Brunet, Reclus - La Documentation Française et La Vie de la Montagne, B. Fischesser, La Martinière.



Paysage de la Grande Guerre 

    Les célébrations de l’Armistice sont l’occasion de revenir sur le paysage de guerre et sur le lien à établir à ce sujet avec la Première Guerre mondiale. 

    La guerre de 1914-1918 s’avère une rupture nette avec les précédentes : elle se caractérise par le passage d’un combat d’unités localisé sur un champ de bataille délimité à une série de vastes opérations conjuguées d’armées de plusieurs millions d’hommes sur une zone géographique très vaste. De fait, la représentation de la guerre en est modifiée.
 
Avec la Grande Guerre, la bataille cède le pas au conflit général et la « scène » au paysage. Il devient dès lors impossible de saisir en une seule et unique vue le combat comme le faisaient, au XVIIIème siècle notamment, les tableaux de batailles résumant l’action par une exposition récapitulative et explicative, montrant les mouvements ou telle phase décisive. Peindre la bataille, restreinte dans l’espace et le temps, se limitait souvent à l’action combattante et héroïque, afin de mettre en valeur, dans une acception presque théâtrale, les protagonistes de l’événement, souvent les plus élevés dans la hiérarchie. La représentation privilégiait ainsi la « scène ». Ce caractère sélectif des faits et personnages, dans une perspective d’assise des pouvoirs militaires et politiques, s’associait à une volonté d’édification que nous pourrions résumer par : « Aux grands hommes les hauts faits de la guerre ». Le décor y était souvent accessoire : l’action primait sur le cadre néanmoins reconnaissable grâce à des détails spécifiques.

Les armées du roi devant Valenciennes (1677) © Encyclopédies de la Rochefoucauld

Vimy (Pas-de-Calais), lieu de mémoire © Hugues Le Roux (Topia), 2001

    L’étendue de la zone des combats de la Première Guerre mondiale, la variété de ces derniers et l’évolution de leurs conditions en quatre ans rendent impossibles ces procédés inhérents à la bataille. 

     Fait autrefois exceptionnel, la bataille devient ordinaire, mille fois répétée par des soldats anonymes issus de la mobilisation générale. La longueur et l’enlisement du conflit multiplient et diluent les actes de bravoure, de courage et les faits d’armes exceptionnels. La « scène » ne relève plus de l’extraordinaire et s’insère dans un temps marqué par l’attente. Le soldat guette, s’ennuie dans ses positions, subit l’artillerie mais attaque peu en quatre années d’enfouissement dans les tranchées. Dans ces conditions statiques, l’environnement quotidien prend une importance particulière. Ce pays du conflit, dont beaucoup ne reviennent pas, s’inscrit dans l’esprit puis la mémoire avec son paysage de guerre.
 
La zone immense des combats, concentrée sur le front autour des premières lignes, se caractérise, après une phase assez courte de mouvements, par l’enterrement des adversaires dans les tranchées et l’écrasement de ces dernières par les obus. De fait, les combats conduisent à une uniformisation rapide des paysages autour d’éléments communs : une tranchée n’offrant que des perspectives d’observation très limitées, des réseaux de barbelés et de divers obstacles au devant de la tranchée, un no man’s land ravagé par l’artillerie, les positions adverses à peine visibles… L’ensemble dans une surface creusée de boyaux, de galeries, et retournée par les « orages d’acier » décrits par Ernst Jünger.
 
Tranchées française à la cote 304 © Larousse-Moreau

          Ces contraintes amènent au paradoxe suivant : malgré la diversité originelle des paysages où se déroulent les combats, la guerre les uniformise pour les fondre en un « paysage aveugle » presque identique sur tout le front. Aussi, les paysages de guerre décrits par les témoins dans leurs écrits intimes ou les auteurs dans leurs romans frappent par cette absence d’originalité qui accentue ce caractère artificiel et industriel, car mécanique, de la guerre moderne.

     De la Première Guerre mondiale naît le paysage de guerre, paysage spécifique, marqué par sa continuité. Pour preuve : il est difficile voire impossible de distinguer un paysage du Chemin des Dames d’un paysage de Verdun sur une photographie d’époque. Mais ces paysages « lunaires » s’inscrivent dans la mémoire collective comme un « lieu de mémoire » à part entière.

    Aujourd’hui, la visite des zones de combat tranche avec ces surfaces grises et noires : l’environnement n’est plus celui des Poilus. Pourtant, malgré la végétation, les traces visibles des impacts d’obus font prendre conscience à la fois de l’inimaginable intensité du bombardement et du ravage inhérent : quel inhumain paysage de guerre pour quel bouleversant combattant.
 

Olivier Casabielhe, pour Format Paysage n° 02, Automne 2001



Histoire et paysage de la prairie

       Pour le promeneur qui traverse la campagne, quoi de plus naturel que le vert des prés ? Pourtant qui sait exactement le travail que représente chacune de ces parcelles ? Dans notre série consacrée à la découverte des éléments du paysage, nous avons choisi d'expliquer la prairie. Nous avons rencontré un éleveur de moutons qui exploite une ferme de 60 hectares dans le bocage bourbonnais, en bordure de la forêt de Tronçais (Allier 03). Pour lui, une prairie ne naît pas spontanément. Elle se crée étape par étape, sa durée de vie est limitée, il faut l'entretenir méthodiquement… 
       Le paysage caractéristique du bocage bourbonnais s'articule autour de prairies entourées de haies basses, localement appelées "bouchures". Le prédécesseur avait débarrassé l'exploitation de ces éléments pittoresques et fatigué ses parcelles ainsi agrandies, par une culture de céréales imitée du modèle beauceron. Seuls l'herbe et l'élevage pouvaient régénérer un sol léger, appauvri par des années de récoltes. En revanche, la moitié des sols étaient déjà drainés (installation de petites canalisations dans le sol pour éviter l'excès d'humidité).  La première étape fut de faire analyser la composition du sol et d'équilibrer le pH en ajoutant de la chaux puis des engrais de fond (acide phosphorique et potasse). Le pH était de 4,5 (pH neutre = 7). Une tonne de chaux par hectare permettant de relever le pH d'un point, c'est plus de 100 tonnes qui ont été apportées. 

      Il existe deux moments propices pour la mise en place d'une prairie : l'automne ou le printemps. Pour une prairie de printemps, le sol nu, une fois délimité, par la mise en place d'un réseau de clôtures, en parcelles équilibrées (l'idéal pour un élevage ovin, serait des parcelles de 5 hectares), une fois débarrassé des arbres dispersés ou haies trop serrées qui gêneraient le passage de la charrue, est alors labouré en février-mars. Il est soumis au passage de la herse afin d'être bien plan. Cette étape est indispensable si l'on veut que chaque graine soit parfaitement en contact avec la terre et puisse en absorber aisément l'humidité qui l'aidera à germer. Il faut ensuite le débarrasser des pierres et cailloux qui pourraient entraver le passage des outils. 
       Vient alors le moment du semis : il existe une grande variété d'espèces fourragères que l'on sélectionne en fonction de la texture du sol (humide, sec, léger, argileux…), de leur possibilité de rendement à court ou moyen terme et de leur durée de vie: Dactyle, Ray-gras anglais ou d'Italie, Trèfle blanc... Il faut environ 30 Kg de semence par hectare, au prix approximatif de 20 Francs par Kg. 
       L'exploitant passe immédiatement après, le rouleau pour bien tasser la graine en terre. On traite alors le "taupin", ce petit insecte coléoptère dont la larve détruit les racines des plantes de façon dramatique si elle n'est pas maîtrisée. 
       Quelques jours plus tard, l'herbe commence à lever. Selon la quantité de mauvaises herbes repérées, l'exploitant peut éventuellement faucher son pré afin d'éviter que ces espèces inutiles ne montent en graine et se répandent davantage ou qu'elles n'asphyxient la prairie naissante en étalant leur feuillage. Cette étape peut, si cela s'impose, être suivie d'un désherbage sélectif ayant pour objectif non de détruire la mauvaise herbe mais de ralentir sa croissance pour laisser la prairie se développer correctement. 
     A l'automne, le gel suffit généralement à ralentir cette croissance. Un mois après le semis, l'agriculteur ajoute un nouvel engrais, l'azote et s'il le peut, du fumier.
 

Cédric Crémona


Bellenod-sur-Seine : un paysage rural en évolution

La perception d'un paysage peut être influencée par des éléments subjectifs tels que l'ambiance particulière et ponctuelle d'un lieu…
Un exemple en Bourgogne, à Bellenod sur Seine, en Côte D'or (21)...
Premier regard...

Soixante ans après, la perspective que nous offrait la carte postale a disparu : la friche et les épines ont envahi la pelouse calcaire du premier plan. Un taillis épais oblige l'observateur à se déplacer d'une vingtaine de mètres pour retrouver le point de vue sur l'église, dont le toit vient d'être refait, et son village. A l'arrière plan, la vue s'est dégagée. La vallée a en partie perdu son caractère bocager.

Les parcelles se sont agrandies et de très nombreux arbres ont disparu. La route départementale a effacé la voie ferrée et longe maintenant la Seine à l'abri de ses crues. Les photos ne montrent pas les granges et le moulin, les murs de pierres sèches et les terrasses en ruines. Mais elles laissent deviner la cohérence qu'a conservé le paysage du Châtillonnais…

 "Crise" du modèle productiviste agricole, effacement des paysages agraires traditionnels, politiques forestières, risques naturels, désertification des campagnes, politique des transports et aménagement du territoire… Les sujets d'actualité ne manquent pas où la compréhension du paysage peut se révéler déterminante. La haute vallée de la Seine et ses plateaux constituent un cas d'école.
 Topia ira à la rencontre des personnes qui vivent ces mutations (agriculteurs, Association des Amis du Canton d'Aignay…)
 
Bellenod et la Vallée de la Seine, en 1940...
Carte postale
…et le 14 avril 2001 : une éclaircie à l'aube
©Cédric Crémona (Topia), 2001

Cédric Crémona, pour Format Paysage n° 00, Printemps 2001

 
 
 
 

 

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